jeudi 1 septembre 2011

Moyenvic, village du Saulnois (57)

Une belle journée de fin d'été. Même si le ciel est peuplé d'un grand troupeau de moutons blancs, la chaleur est bien celle d'un après-midi d'août. Le dernier du mois.
Dans les prairies qui longent la Seille, nous cherchons une salicorne particulière qui devrait se distinguer par sa teinte orangé. L'herbe bien verte et l'humidité de la moindre dépression témoignent d'un été qui fut capricieux. Quelques vaches noires et blanches aux fesses osseuses pâturent les prairies salées.


Le fond de la vallée est bien plat, mal drainé par la Seille. Les traces des exploitations de sel qui firent la richesse des salines de la vallée dont les salines royales de Moyenvic sont très discrètes, voire invisibles au promeneur non averti. De l'autre côté du sentier herbeux, les champs ont déjà été semés en colza à peine germé. Le profil de ces cultures délicatement bombé et rougeâtre se détache sur le ciel un peu trop blanc. Je me plais à imaginer que les nombreux tessons de tuiles y sont des résidus de briquetage.


Non loin, le village de Moyenvic s'étire le long de la route de Strasbourg. Exhibe ses maisons indécentes de laideur. Le clocher bizarre et troué de sa vilaine église en béton tranche sur les Vosges, horizon bleuté dans le lointain, où le Donon émerge en forme de chapeau ou d'un serpent qui aurait dévoré un éléphant, telle une image volée au Petit Prince !

Au nord, les pentes ensoleillées de la côte conservent quelques pieds de vigne dont le petit vin de Vic qui faisait tourner les têtes a gagné une belle reconnaissance grâce au label AOC obtenu cette année, conjointement aux "vins de Moselle". Papa, soldat à Morhange, qui en eu la tête toute chamboulée un jour de permission chez sa cousine de Vic, en serait tout étonné !

Soudain m'apparait l'image de mon aïeul Charles Paté à qui je dois mes maigres origines lorraines. Grand-père qui est "arrière", il a passé entre Vic et Moyenvic les vingt premières années de sa vie. Il fut orphelin de mère, Madeleine, la repasseuse moyenvicoise étant décédée alors qu'il n'avait pas terminé sa première année. Le décès des mères m'apparait comme une malédiction familiale qui a sévi sur plusieurs générations. Suite à la défaite en 1871, ces confins de Meurthe vont devenir confins de Moselle. Moyenvic sera juste à la frontière. Charles ne le sait pas encore. Je l'imagine comptant fleurette à quelque cousine de Vic-sur-Seille à qui il a donné rendez-vous sous les saules au feuillage argenté. Sans doute aimait-il aussi conter fleurette derrière l'église aux donzelles du village un peu godiches ou aux pinéguettes délurées. Je l'imagine joli cœur. La guerre le conduira très probablement à combattre les Prussiens : à vingt ans en 1870, il a tout juste l'âge d'endosser l'uniforme !

Qui étais-tu, Charles, fils de cordonnier, toi qui n'es jamais revenu vivre au village devenu Medewich pour de longues années d'annexion ? Toi qui abandonnas ta fille, ma grand-mère, à ta sœur après le décès de ta seconde épouse sarthoise pour vivre près de Bruxelles avec une troisième épouse, puis finiras tes jours concierge à Paris au lendemain de la première guerre mondiale ?
Ta fille la petite Charlotte dont la tante "de Versailles" se débarrassera bien vite, gardera une grosse amertume à ton égard, et la famille t'octroiera à tort ou à raison une réputation de "chaud-lapin" qui colle à ta mémoire !

Dans le village où je passe trop rapidement, la saline royale dont Charles fut probablement témoin de la déchéance, a disparu. Il n'en reste qu'une porte peu mise en valeur qui échappe régulièrement à mon objectif à cause d'un camion dont c'est, juste devant, le parking dominical. Les fortifications ne sont qu'un lointain souvenir, gravure conservée sur quelques parchemins, dans de vieux livres et dans les musées. Quant au village, il a disparu en 1944 sous les bombes de la Libération. Pour ce qui est de sa reconstruction et de celle de l'église, je crois que Charles serait très surpris du résultat !
Et moi, j'imagine quelque cousinage lointain, peut-être bâtard, parmi les enfants qui jouent sur la place et m'adressent un "bonjour !" innocent.

Moyenvic d'autrefois existe encore sous forme de cartes postales anciennes, émouvantes. La plupart d'entre elles a été éditée pendant l'annexion et laisse une impression bizarre avec les inscriptions en Allemand sur les commerces et des soldats en uniforme, comme si on en avait volé les souvenirs.


Un site internet "grain de sel" regorge de photos et de documents précieux, telle une photo de classe de 1914 où, dans une mise en scène sans faille, on voit les petites filles avec un joli col en dentelle blanche impeccable, un flot clair dans les cheveux bien peignés et les petits garçons coiffés du casque à pointe ou d'une casquette très militaire !

Extrait de la généalogie :

Charles Joseph PATÉ (Moyenvic, 1850-Paris, 1921), fils de Charles, cordonnier, né à Vic-sur-Seille et de Madeleine Penin, repasseuse, née à Moyenvic.
Épouses : Victoire Coquet, puis Clémence-Émilie le Baillif (Sainte Suzanne, 1859-Paris 15ème-1899), puis Amandine Chauvin. La première lui a donné un fils, Albert et la seconde une fille, Charlotte, mon arrière-grand-mère.

Moyenvic sur "Grain de sel"
L'étonnante photo de classe.