lundi 29 août 2022

Les 3 desserts

– Dans huit jours, je vais chercher ma troisième épouse, annonça Djamal à Samia après de sublimes ébats conjugaux. J'y suis obligé si je veux tenir dignement mon rang. C'était notre dernière nuit d'amour. Néanmoins, comme je t'aime plus que la favorite, je te laisse une chance : si tu parviens à ravir mes papilles et à m'étonner avec un dessert inattendu, je renoncerai à ma décision. Tu as une semaine devant toi. En attendant, je partagerai ma couche avec Shéhérazade.

Déjà folle de jalousie envers celle-ci, il n'était pas question pour Samia d'accepter l'arrivée d'une nouvelle épouse dans le harem. Elle consulta Internet, éplucha maintes recettes et jeta son dévolu sur des mochis dont la recette trouvée sur marmiton.org paraissait simple et inratable. Elle avait eu beaucoup de mal à se procurer les ingrédients à l'exception du thé. Ses mochis étaient moches, mais elle se dit qu'ignorant à quoi ressemblaient les originaux, Djamal les trouverait à son goût.

 

 – Qu'est cela ? l'interrogea-t-il en grimaçant à la vue des friandises.

– Un dessert japonais, le régal de l'empereur du pays du Soleil Levant.

"Si c'est un délice pour un éminent souverain, pensa-t-il, ça doit être exquis". Mais à peine eut-il avalé une bouchée, qu'il faillit s'étouffer avec la pâte de riz gluant trop épaisse.

Rouge de colère, mais compatissant au désespoir de sa seconde épouse, il lui donna une nouvelle chance.

– Je t'accorde 24 heures pour me surprendre et titiller mon palais.

 

 – Qu'est cela ? l'interrogea-t-il en voyant des petits gâteaux joliment placés en rond sur un plat d'argent autour d'une coupelle en cristal remplie d'une crème blonde.

– Ce sont des madeleines, le régal du roi de Pologne. Au milieu, c'est un entremets aromatisé à la bergamote.

Elle s'abstint de dire que Stanislas, le monarque, avait été déchu et chassé de son pays.

Djamal croqua dans une première madeleine dépourvue de bedaine, laquelle, bien que trempée dans la crème, était trop cuite et dure comme la selle de son meilleur chameau. Il y laissa 2 dents. Samia n'étant guère habituée à utiliser son four sophistiqué, elle n'avait pas su maîtriser la cuisson.

– Je te donne une dernière chance, mais cette fois, tu ne disposes que de 12 heures.

 

 – Qu'est cela ? Hormis la taille, cela n'a rien d'original, pesta-t-il en voyant l'énorme dôme de semoule très artistiquement orné de cannelle et de raisins secs. Dès demain, je pars aux confins du pays pour revenir avec la belle Marjane. Fraîche comme une fleur de mandragore, elle vient tout juste de fêter ses 13 ans. Il faudra lui faire bon accueil au sein du sérail.

– Ceci n'est pas un seffa ordinaire, goûte-le, je suis sûre que tu seras surpris.

Djamal roula dans ses doigts une portion de couscous avant de le porter à sa bouche. Sitôt qu'il l'eut avalée, il tomba du sofa où il était assis, s'affalant sur le tapis. Ce qu'il n'avait pas soupçonné, c'est que la cuisinière avait dissimulé des extraits de belladone, et bien que celle-ci n'ait aucun goût, elle avait ajouté de la cannelle en excès afin d'être certaine de dissimuler sa présence.

 

 Son forfait accompli, Samia s'enfuit avec Farid, l'eunuque chargé de veiller sur le sérail. Bien qu'émasculé, il n'en était pas moins homme et aimait en secret la jolie brune aux mains ornées de délicats motifs tracés au henné. Il savait comment l'honorer, sans risquer, évidemment, de la mettre enceinte. Ils parvinrent en France après avoir traversé la Méditerranée sur un rafiot de fortune. Samia savait que dans ce pays, la polygamie était prohibée, cela lui laissait la certitude d'être l'unique femme de Farid.

Ce dernier fut engagé dans la capitale comme ripeur. Samia, trouva un emploi dans une pâtisserie de Belleville.

 

 – Qu'est cela ? demanda Farid quand il ouvrit un carton regorgeant de petits gâteaux.

– Ce sont des religieuses, des éclairs et des kouign amann. Les Parisiens en raffolent. Le chef m'a dit que certains sont des étouffe-chrétiens, mais vu que nous sommes musulmans, nous ne craignons rien.

 

mardi 9 août 2022

Canicule

Ce matin,
J'ai fait le tour du jardin
Écrasant sous mes semelles
Quelques mirabelles
Découvrant ma clématite desséchée
Tout comme le jeune pêcher
Tandis que les rosiers
Ont des fleurs de papier.
Les tomates
Écarlates
Surveillent l'unique melon
Dont s'arrondit le bedon.
Des courgettes quotidiennes
Ma panière est pleine.
 
À midi, je fuis la terrasse
Où les guêpes en masse
Picorent les crevettes
Et les pêches blettes
Je les tolère
En capture une sous un verre
Puis la libère
Quand j'ai fini mon dessert.
Une dans ma manche s'est immiscée
Et m'a piquée
Moi qui son espèce protège
Ne disposant aucun piège.
 
 Le soir un peu d'eau
Pour les géraniums en pot
Au diner on festoie
Avec un potage froid
Ou un gratin
Aromatisé de thym.
Je ne vois dans le ciel bleu
Qu'un soleil boule de feu
Mais aucun nuage
Ne veut se faire orage.

La nuit sera torride
Et mon chat stupide
De plaisir ronronnera
En se glissant sous mes draps
 Une étoile filante réjouit
Mon insomnie
Demain est un autre jour
Du jardin je ferai le tour.
 
(août 2022)