lundi 3 septembre 2018

Sur le GR34


Le sentier des douaniers part sur la gauche de la plage, raidillon dans les pins biscornus, avec ses hautes marches naturelles de blocs rocheux polis par l'érosion. Puis il suit les courbes de la côte. On m'a installé sur un promontoire. Mon assise est taillée dans un granite gris clair, polie sur le dessus, aux rebords rugueux, posée sur deux blocs de pierre brute. Sur mes tranches mal dégrossies, les lichens cuivrés ont la chaude couleur des cheveux des gens d'ici. Tout autour de moi, l'Armérie maritime, ondulant dans le vent, fait un tapis, gazon vert ponctué des petites boules roses de ses fleurs et des corolles des silènes blanches. Parfois, un furtif lézard vert se chauffe au soleil, à mes pieds. Comme je n'ai pas de dossier, celui qui veut faire une halte a le choix de s'installer dans un sens ou dans l'autre. Il peut contempler d'un côté le village, par-delà la plage, avec ses maisons brunes aux ardoises luisantes blotties autour de la vieille église dont Botrel chanta le clocher à jours. L'autre côté permet d'admirer la falaise abrupte que les vagues de l'océan viennent heurter avec fracas, m'éclaboussant d'éclats d'écume volant dans l'air comme de légers papillons blancs les jours de tempêtes.

Mais, il faut l'avouer, je suis peu confortable et n'accueille que les brèves haltes des promeneurs. Au tout début de la saison, les baliseurs y posent leur matériel, le temps de s'éponger le front avec leurs grands mouchoirs à carreaux en haut de la grimpette : pot de peinture rouge et pot de peinture blanche pour marquer le GR ; faux, ébrancheur et hachette pour contenir, un peu plus loin, l'invasion des fougères aigle, des ronces, et des pruneliers dans lesquels s'accroche le chèvrefeuille parfumé. Le randonneur non plus ne s'assoit pas. Il s'y déleste de son sac à dos, le temps d'avaler, face au rivage, une gorgée d'eau tiède dans sa gourde cabossée. Les gens du village ne viennent plus s'y installer, pas même l'ancien marin pêcheur, vêtu de sa vareuse bleu délavé, coiffé de sa casquette défraîchie elle aussi par des années de soleil et de crachin. Vers 5 heures du soir, il guettait à l'horizon le retour des chalutiers, suivis dans leur sillage par une kyrielle de goélands affamés.

J'aimais bien accueillir la jolie Lenaïc, la fille du maire, et son amoureux, Yann. Parti faire ses études à la ville, il ne revenait que pour les dimanches. J'étais témoin de leurs tendres et parfois coquines retrouvailles. Un jour de septembre, alors que la marée d'équinoxe s'accompagnait d'un noroît particulièrement violent, ce n'est pas Yann que Lénaïc trouva sur le banc du rendez-vous. Je l'ai vue se débattre quand l'homme en noir a voulu soulever sa jupe. Mais je ne saurais pas dire si, après son forfait, il l'a poussée dans le vide ou si le pied de la mignonne a glissé sur la terre noire du chemin. On a repêché avec beaucoup de difficultés, quelques heures plus tard, son corps disloqué en bas de la falaise. On n'a jamais su la vérité. Les anciens ont dit que c'était la faute à l'Ankou.

Depuis, les villageois prétendent que l'endroit est maudit et ne s'aventurent plus sur le GR34. Nul n'enlève la vilaine mousse grise et rase qui me souille. Je me contente de servir de halte à de rares touristes. Il y en a parfois qui pique-niquent en regardant au loin le passage des bateaux de pêche, et, à leurs pieds, en bas de la falaise, les cormorans noirs qui sèchent leurs ailes déployées sur l'écueil fatal, émergé à marée basse.

mercredi 25 juillet 2018

Miss Mouche et les roses bleues

Mon texte sur le blog de Françoise Guérin :
motcomptedouble.blog.lemonde.fr/2018/07/24/a-lire-miss-mouche-et-les-roses-bleues-de-mamlea/

Pour une fois, et ce n'est pas coutume, je suis éditée ailleurs que sur mon blog.

lundi 16 juillet 2018

Calendrier en haïkus

Juin

Les framboises sucrées
Dans un dessert coloré
Se mêlent aux groseilles

Juillet

Blés murs moissonnés
Dans des silos engrangés
L'orage peut tonner

Août

Mirabelles dorées
Aux vergers de nos coteaux
Sucrées comme du miel

Septembre

Raisins blancs et noirs
Au pressoir sont écrasés
Prépare tes tonneaux

Octobre

Les marrons tombés
Sur le sol bituminé
Annoncent la Rentrée

mardi 23 janvier 2018

Un p'tit mâle

Jeu d'écriture sur le forum Maux d'Auteurs. Le thème consistait à mettre en scène un personnage extrêmement surpris, interloqué par un évènement qui se déroule sous ses yeux. Je me suis inspirée d'un fait divers.
Contrainte habituelle : maximum 3500 caractères.
(Heureusement qu'il y a ce forum pour me "pousser" à écrire un peu, car sinon, ma plume serait aussi paresseuse que mes pinceaux !)

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L'année scolaire tirait à sa fin, avec une certaine dose d'angoisse due à l'approche des examens. Nous entamions la dernière semaine de cours avant d'être libérés pour quelques jours de révisions.
Miss Élisabeth, notre prof d'Anglais, nous donnait ses dernières consignes, et nous nous apprêtions à nous rendre au gymnase, les filles d'un côté, avec "la" Duroc, et les garçons de l'autre, avec "le" Dubois, dont l'association des noms était une source de plaisanteries pas toujours très gentilles pour les deux profs.
Au moment de nous séparer, j'ai déposé un baiser furtif dans le cou de mon amoureuse en lui disant :
- À tout à l'heure à la cantine.
J'aime Laetitia et Laetitia m'aime. Elle est arrivée au lycée quelques jours après la rentrée, et s'est placée à côté de moi, au fond de la classe. Ça a été tout de suite le coup de foudre et depuis, nous sommes inséparables.
On s'est promis que l'examen en poche, on habiterait ensemble. Une nouvelle vie allait commencer.

J'avais bien vu que le matin, elle ne semblait pas être dans son assiette, le visage pâle et crispé. Je lui ai fait remarquer.
- J'ai mal au ventre depuis cette nuit, je ne me sens vraiment pas la forme pour jouer une partie de volley.
Sans doute avait-elle ses règles, mais je n'ai pas osé lui demander. En général, les filles n'aiment pas aborder ce sujet. Je lui ai conseillé de se rendre à l'infirmerie.
Après le sport, je l'y ai rejointe. Madame Jacquet lui avait donné une infusion bien chaude et proposé une bouillotte. Ses parents étaient prévenus, mais vu qu'ils ne pouvaient pas venir la chercher rapidement, elle prendrait le bus scolaire, comme d'habitude. En attendant, elle n'avait qu'à se reposer, sous bonne surveillance.

Le SAMU est arrivé vers 14 heures.

Mon dernier cours de la journée terminé, je suis parti sur ma mobylette, fonçant comme un dingue au travers de la ville pour la rejoindre à l'hôpital.
À l'accueil, on m'a demandé si j'étais le papa. Ça m'a semblé bizarre, j'avais pas l'impression de paraître si vieux !
J'ai quand même répondu "oui", d'un air assuré.
On m'a conduit à son chevet. Elle était allongée sur une table, les jambes relevées. Elle criait. Une infirmière et un médecin s'occupaient d'elle, sans avoir l'air inquiets.

- Poussez, poussez encore ! lui disaient-ils.
- Encore, encore, il arrive, il arrive… le voilà !
J'ai vu alors entre ses jambes écartées sortir une tête, puis le corps d'un bébé, tout gluant.
Il s'est mis aussitôt à crier.
Laetitia a pleuré quand on lui a posé sur son ventre l'enfant encore relié par le cordon ombilical.
- Félicitations à vous deux, a dit le médecin. C'est un beau garçon.
- Mais, mais… Pétrifié, je ne parvenais pas à prononcer la moindre parole.
- Je ne savais pas… a balbutié Laetitia, je ne savais pas que j'étais enceinte. D'ailleurs, ton frère Kevin, nous avait dit qu'on ne risquait rien si on faisait l'amour debout. Je le retiens, celui-là ! Mademoiselle Jacquet a compris lorsque j'ai perdu les eaux.
Quant à moi, gêné par l'évocation de nos ébats intimes, je n'ai pu que rougir.

- Bel exemple de déni de grossesse ! a soupiré l'infirmière.
Puis s'adressant à moi :
- Va falloir vous comporter en adultes, maintenant que vous êtes parents. Vous allez l'appeler comment cet enfant ?
On s'est rapidement concertés et on a répondu :

- Ben… ce sera Denis, comme son grand-père, ça lui fera une belle surprise !