mercredi 9 décembre 2009

Le denier du rêve (3/4)

Un jour pâle s'était levé. Jeannette rebroussa chemin, pressa le pas, contournant la place d’où s’élevait un murmure inhabituel… Elle sentit bien que ce tohu-bohu la concernait. Elle se cacha derrière un tas de bois qui encombrait l'usoir.
- …et il a enlevé la petite Jeannette !
Collignon criait et gesticulait au milieu dune foule tout aussi agitée.
- Le Collignon est bien simplet mais pas menteur, pensa le curé qui, alerté par le bruit, s'était joint à ses ouailles.
- T'as vu un homme en noir toi ?
- Comme je vous vois ! J'allais pour sonner l'angélus… et… et j'ai tout vu !
- Ta Jeannette avec un homme ! Ta Jeannette ! Tu te rends compte ? Un grand homme tout en noir… dit une matrone au père qui arrivait en courant, ameuté par les cris des villageois.
À peine rassurée pas l'arrivée du Didier Grandidier, Jeannette sortit furtivement de sa cachette et se réfugia dans le dos de Collignon.
- C'est donc vrai ma Jeannette ? Tu as vu un homme en noir ? demanda Louison, la mère, qui rentrait tout juste de La Rochotte, son service terminé.
Tremblante de peur, Jeannette expliqua timidement que l'inconnu lui avait offert une pièce du Duc qu'elle avait dû donner à son père et que l'homme s'était dirigé vers Toul par un chemin qu'elle lui avait indiqué…
Le petit groupe continuait de s'ébrouer sur place quand soudain on entendit le martellement du galop d’une troupe à cheval, dévalant la grand-rue, et le cliquetis des armes s'entrechoquant.
Un gamin morveux accourut, pieds-nus, et s’époumona :
- Les gens d’armes ! Les gens d’armes !
On se regarda, inquiets : angoisse de la soldatesque ! Trois archers déboulèrent et arrêtèrent avec peine leurs montures à la hauteur du petit groupe. Le gamin s’était blotti dans les jupes de sa mère.
- Holà ! Manants ! Quelqu’un d’entre vous est-il le mayeur du bourg ?
Regroupés et intimidés, tous nièrent de la tête, l'air un peu benêt…
- Allez me chercher le mayeur ! s’écria sèchement celui qui paraissait être l’officier. Il y a affaire d’état !
- Voilà, voilà… y’a pas le feu à la Moselle ! leur lança un homme ventru sortant de la plus grosse masure de la place, accourant vers eux en remontant ses chausses.
- Dieu, les archers du Duc ! …
- T’es le mayeur ?
- Qu'est ce qu'il se passe ?... tu as mandat de qui ?
- Écoute bien et ne m’interromps pas. Par ordonnance du bailli de Nancy, moi, Ferry de Bainville, sergent au service du Duc Charles, je te fais connaître qu’un cri public a été lancé pour mettre la main sur le dénommé "La Leuquoise". C’est un grand maigre avec de grandes oreilles, toujours vêtu de noir. C'est un traître et un dénonciateur ! On l'a vu plusieurs fois franchir le gué. Je promets 3 deniers de bon or à qui donnera tout renseignement sur l’individu et le lieu où on peut le trouver. Qu’on se le dise !…
- Je t’entends bien, sergent, mais tu sais que tu es ici en terre épiscopale ! La justice du Duc n'a pas loi par ici !
- Sacrebleu, rétorqua haineusement le sergent, tu crois m’impressionner ! En tous cas, manants, sachez que notre bon Duc ne fait pas de différence en cas de lèse-majesté… les 3 deniers sont au premier qui aidera à mettre la main sur le dénommé "La Leuquoise". Tu peux rentrer chez toi, mayeur, je ferai mon rapport sur ton impertinence…
Sur ce, il lança son cheval dans la direction de Toul en pointant du doigt le mayeur demeuré droit, les deux mains sur les hanches, en signe de défi.…
- Hé vous autres ! Ne restez pas là ! Vous avez entendu... trois deniers or ! Et il accompagna ses paroles en brandissant trois doigts vers les villageois pétrifiés.
Soudain, comme un avertissement céleste, une pluie torrentielle se mit à tomber dans un violent grondement de tonnerre. Le groupe effrayé se dispersa en courant, chacun se faufilant dans les venelles pour se réfugier dans sa chaumière.
Et puis, après tout, n'avait-on point retrouvé la Jeannette !

oOo

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