Le départ
Nous partîmes en rangs, deux par deux. Nos tenues débraillées témoignaient davantage de la fatigue que d'un laisser-aller. J'avais soif, des ampoules aux pieds, car peu habitué à crapahuter avec mes lourds godillots durant l'immobilité de l'automne et de l'hiver. Nous étions épuisés par les kilomètres parcourus sous un chaud soleil de mai. Nos accompagnateurs avaient un comportement agressif. Nous aurions aimé plus d'empathie, de respect pour ce que nous représentions. Nous fîmes une première étape dans une ferme dépourvue de confort. Il faut dire qu'à cette époque, les villages de la Moselle profonde n'étaient pas tous équipés d'eau courante. Puis, passé la frontière, si tant est que ce mot eut encore un sens, on nous embarqua dans un train, aux boggies mal graissés, crissant sur les rails.
Les camps
Le voyage fut long. Très long. Il parait que dans mes rêves, j'appelais "Madeleine", ma douce compagne au ventre aussi gonflé que la pâtisserie du même nom. Elle allait me manquer pendant ce séjour forcé à durée indéterminée. Nous débarquâmes dans une ville ouvrière enfumée, aux maisons de brique sale. La baraque où je fus dirigé hébergeait des Parisiens et quelques p'tits gars du Nord, L'ambiance des kommandos aurait été acceptable si nous avions bénéficié d'un peu plus de liberté. Je n'aurais jamais dû avoir la mauvaise idée de faire le mur, un soir d'hiver ! Je fus vite rattrapé par deux types accompagnés d'un molosse dissuadant toute velléité de résistance.
On me transféra ensuite, avec plusieurs compagnons d'infortune, dans un autre camp, plus à l'est. Le train de marchandise roulait lentement. Par les lucarnes, je distinguai une vaste plaine, avec, çà et là, une ferme isolée, un bosquet de maigres bouleaux, un troupeau de vaches faméliques paissant une herbe rabougrie. Le seul repas qu'on nous servit, lors d'un arrêt nocturne, fut une soupe claire, avec un peu de pain qu'une eau tiédasse n'était pas parvenue à ramollir et du sable qui croquait sous la dent. Si elle me remplit l'estomac, elle ne me rassasia pas. Nous descendîmes de nos wagons un petit matin dans un endroit hostile, sous une pluie glaciale. L'appel dut sans cesse être recommencé. En d'autres circonstances, l'incapacité de nos gardiens à nous compter aurait été risible. Nos capotes vite détrempées ne suffirent pas à nous réchauffer. Nous prîmes enfin possession de nos chambrées, libres de choisir le bat-flanc qui nous convenait le mieux. Je me retrouvai à côté d'un ch'ti dont rien n'entamait l'humour.
C'est dans ce camp de représailles que le temps s'écoula misérablement, jusqu'à la fin des interminables vacances.
Le retour
Par la fenêtre du train affrété par la Croix-Rouge, je vis défiler des paysages bucoliques. Les villages aux maisonnettes en brique rouge et toit d'ardoise se succédèrent. Dans la campagne aux prairies verdoyantes, les pommiers étaient en fleur. Tandis que nous entrions lentement dans la capitale ensoleillée, mon cœur se serra. Arrêt le long d'un quai de la gare du Nord, éclairé par une douce lumière filtrée par les marquises. Je retrouvai enfin Madeleine, intimidé comme au soir de nos noces. Elle n'avait pas changé en 5 ans, maquillée et coiffée comme une actrice de cinéma, la taille fine dans une robe fleurie, juchée sur des talons à semelle de bois.
- Lison, embrasse Papa, dit-elle à la fillette qui l'accompagnait, mais l'enfant se mit à pleurer en se cachant dans les jupes de sa mère.
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