dimanche 1 mars 2009

Soldat !

Heureux, mon fils, parmi les premiers à ne pas avoir fait ce service militaire qui, disait-on autrefois, faisait de nos garçons des hommes !



Ton arrière grand-père qui s'engagea à 17 ans n'aurait pas compris. Être réformé était alors un déshonneur ! Jamais il ne s'est plaint des souffrances subies entre 1914 et 1918, lui qui fut gazé sur le front Vosgien ! Y perdit l'odorat mais sauva sa peau.




Ton grand-père, incorporé en septembre 1936 a fait un long service militaire de 3 ans. Après six semaines de classes à Forbach, il intègre une caserne à Morhange, en Moselle. Cette affectation lui permet de mettre ses pieds dans la terre lorraine de ses ancêtres, hélas oubliée, et de renouer quelques liens avec un cousinage resté à Vic sur Seille. Il ne pensait pas être soldat si longtemps mais après trois années sous les drapeaux suivies d'un bref retour à la vie civile, il fut rappelé pour un mois, suite à "Munich", en 1938.

Un second rappel en mars1939 le fera soldat plus longtemps qu'il n'aurait pu l'imaginer. Et la photo prise devant la gare de l'Est en 1940 prouve qu'il pressentait un avenir difficile.
Il ne sera définitivement démobilisé que le 10 août 1945 après le sacrifice de presque 9 ans de sa jeunesse.
Entre temps, le 14 juin 1940, il est fait prisonnier à Barst en Moselle où, dans les caves d'une maison de maître, il tenait une radio dans une position indéfendable. Malgré quelques "Kommandos" tout juste supportables en Allemagne, l'attrait de la liberté l'incite à tenter une irréaliste évasion mais l'échec de l'opération le conduit en Poméranie, à Rawa-Ruska, dans un camp de représailles… Puis ce furent d'autres durs kommandos, d'autres statuts. C'est ainsi qu'en "prisonnier libre" (sic), il passe les derniers mois de captivité en compagnie de sa jeune épouse qui était allée le rejoindre. Ils en reviennent à 2 et demi, leur premier enfant ayant été conçu là-bas.

Maman récemment décédée, je viens de récupérer quelques photos de cette époque, mais surtout un manuscrit légendaire. Papa avait écrit en juin 1943 une longue lettre à Maman : 10 pages d'une écriture très fine et serrée, au crayon, sur un papier jauni par les ans. Presque illisible. Ces feuillets avaient été dissimulés dans la double paroi d'un colis qu'il avait expédié en France. Seul indice dans l'officielle lettre jointe : "utilise le bois de la caisse pour faire du feu !"
La lettre ne fut pas trouvée de suite.

On en parla longtemps, je la découvre seulement.
Plusieurs jours m'ont été nécessaires pour déchiffrer l'essentiel des pattes de mouches maladroites de Papa. Je m'imaginais y découvrir les détails sur la vie d'un prisonnier, sa vision de la guerre, de l'Allemagne, des copains, des Allemands. J'y découvre une pathétique lettre d'amour ! Avec le sentiment mitigé de m'immiscer dans l'intimité de deux êtres que l'Histoire avait trop vite propulsés dans la tourmente au lendemain de leur mariage, et de découvrir une réaction à la captivité à laquelle je ne m'attendais pas. Avec une idée fixe : l'omniprésent espoir de rejoindre bientôt celle qui seule à ses yeux de prisonnier représentait une raison de vivre.


On peut espérer que cette guerre sera la dernière et que malgré une autre génération qui sacrifia encore trop de vies, en Indochine puis en Algérie, il n'y aura plus jamais ni prisonniers, ni morts au combat.
Les femmes ne sont pas faites pour donner la vie à des soldats, à de la chair à canon ! La jeunesse n'est pas faite pour défendre quelques kilomètres de frontière, ou une liberté que des généraux ou des dirigeants n'ont pas su préserver !


Heureux, mon fils, si tu ne connais jamais que la vie civile.

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